Tu ne connais peut-être pas le terme de “ouin-ouin“, mais tu en croises sûrement régulièrement (et il t’arrive peut-être de l’être parfois toi-même). C’est quand tu fais remarquer à quelqu’un·e son comportement oppressif et qu’iel renverse les rôles et se plaint en retour de ne plus pouvoir rien dire ou faire. Tout en minimisant son acte, iel renvoie la culpabilité à l’autre en disant qu’iel est soit trop sensible, soit parfois complètement “hystérique”. Petite parenthèse : s’il t’arrive d’utiliser le mot “hystérique”, sache qu’il est sexiste et à bannir de ton vocabulaire !

De tels propos reviennent à nier la réalité de la personne qui subit une oppression. Si une personne concernée t’indique que tel comportement ou propos est problématique, fais-lui confiance, c’est que c’est vrai, même si tu n’es pas d’accord ou même si tes intentions étaient bonnes.

La Nuit Remue Paris – Ouin Ouin ou le culot

Le bingo des ouin-ouins

Pour mieux cerné le concept, voici un petit florilège de phrases de ouin-ouin :

  • Ça va, c’était juste une blague
  • On ne peut plus rien dire
  • C’était mieux avant
  • Not all men
  • C’est dur d’être un homme, ou d’être hétéro (ou n’importe quel groupe dominant)
  • Comment est-ce que je fais maintenant pour draguer ?
  • Il n’y en a plus que pour les LGBT (ou tout autre groupe oppressé)
On ne peut plus rien dire ?
par Elodie Arnould
Le traitement sexiste de la colère des femmes
par Emma

Des oppressions invisibilisées et largement sous-estimées

Par nature, les oppressions systémiques sont invisibilisées. Nous sommes tellement habitué·es au fonctionnement de notre société, que nous ne voyons pas la plupart des rapports de domination. À l’opposé, nous voyons directement quelque chose qui ne correspond pas aux normes. Par exemple, les personnes non racisées ne remarquent généralement pas lorsqu’iels sont dans des groupes quasi-exclusivement blancs, tellement cela est fréquent. Par contre, iels noteront immédiatement dès qu’un groupe est composé majoritairement de personnes racisées. Cela peut amener à certaines personnes à parler de grand remplacement, seulement parce qu’iels n’ont pas l’habitude d’être – parfois – en minorité.

Certaines mesurent visent à réduire les oppressions systémiques. Tandis que les oppressions sont invisibles et largement sous-estimées, ces mesures sont volontaires et visibles. Bien que ces dernières soient largement insuffisantes pour réellement compenser le déséquilibre systémique, elles peuvent sembler indues si l’on nie ou sous-estime ces oppressions. Cette différence de perception peut amener certaines personnes à penser que ces sujets sont trop souvent abordés ou que les personnes subissant des oppressions sont favorisées par rapport aux autres, tels qu’avec la mise en place de quotas ou d’espace en mixité choisie.

La non-mixité – La Nuit Remue Paris

Par exemple, certaines personnes se plaignent du montant des pensions alimentaires, en oubliant que ces sommes existent pour compenser une perte nette de revenu des personnes ayant arrêté ou réduit leurs activités professionnelles rémunérées pour s’occuper de leurs enfants, majoritairement des femmes. Si leur conjoint·e a pu continuer ses activités professionnelles, c’est uniquement parce qu’iel s’occupait de leurs enfants à leur place. D’un côté, on a une perte de revenu de la personne qui arrête ou réduit son travail rémunéré ainsi qu’une augmentation de ceux de saon partenaire. De l’autre, il y a une compensation financière : la pension alimentaire. Les premières sont invisibles et très largement sous-estimées, tandis que la seconde est chiffrée et bien visible. Bien entendu, c’est surtout cette dernière que l’on remarque. De nombreuses études montrent que les pensions alimentaires ne compensent qu’une partie de la perte financière, et que plus globalement, une femme s’appauvrit en se mariant avec un homme. Pourtant, l’imaginaire collectif continue à nous faire penser l’inverse. Pour plus d’informations à ce sujet, vous pouvez écouter le podcast “Le patrimoine, enjeu capital” de Victoire Tuaillon dans sa série “Les couilles sur la table“.

Le patrimoine, enjeu capital
Les couilles sur la table

D’autres personnes en arrivent même à parler de “sexisme ou racisme inversé“, alors même que ces oppressions étant systémiques, elles ne peuvent par principe pas être inversées. Vous trouverez plus d’informations dans l’article sur le sexisme. Et en attendant que l’on rédige un article sur pourquoi le racisme anti-blanc·he n’existe pas (en lien avec la future carte sur le racisme), vous pouvez regarder cette vidéo de l’humoriste australien Aamer Rahman ou écouter ce podcast de “Kiffe ta race”.

Le racisme anti-blancs
Aamer Rahman
Pauvres petit·es blanc·hes : alerte au déclassement
Kiffe ta race

Les ouin-ouins, une valeur partagée ?

Si l’archétype du ouin-ouin est un homme cis, généralement hétéro et blanc, ce phénomène est valide pour toutes les formes d’oppressions et ne concerne pas que les hommes et le sexisme, loin de là. Ce peut-être par exemple :

  • une femme blanche qui se plaint que la petite sirène est noire
  • un personne racisée cis hétéro qui se plaint qu’il y a trop de personnes queer dans les médias (le fameux lobby LGBT !)
  • une personne valide qui se plaint des normes d’accès aux personnes à mobilité réduite

Quelles que soient les oppressions que tu peux subir par ailleurs, tu peux aussi te trouver dans la position de l’oppresseur·euse. Lorsqu’une personne concernée te fait part d’un propos ou d’un comportement inapproprié que tu viens d’avoir, n’hésite pas à réfléchir à tes privilèges avant de répondre, comme l’explique très bien Océan dans cette tribune.

Le lance-flammes d’Océan
Les ouin-ouins

Not all men mais a lot quand même

La majorité des personnes se perçoivent comme bonnes et bien intentionnées. Si l’on peut percevoir les mécanismes d’oppression à l’œuvre dans la société, il est beaucoup plus difficile de s’appréhender soi-même comme oppresseur·euse. Lorsque l’on nous met en face de nos comportements oppressifs ou de notre position dominante, il existe une dissonance cognitive forte, un mécanisme de protection qui nous fait déformer les faits et la réalité pour conserver cette image positive de nous-mêmes. Ce mécanisme est à l’œuvre dans le “Not all men” ou “Pas tous les hommes“.

Lorsque des personnes dénoncent des oppressions qu’elles subissent; il est indécent de décrédibiliser ces propos en répondant “Mais moi, je ne fais pas ça“. Cela revient à recentrer le débat sur sa propre personne alors que l’on parle de mécanismes systémiques, structurels, largement répandus dans la société.

La semaine antisexiste – NotAllMen

Tout le monde n’est pas réceptif de la même manière au conditionnement sociétal et nous n’intégrons pas tous les comportements problématiques dénoncés. Mais, nous ne sommes pas imperméables à ce conditionnement pour autant. Si une majorité d’hommes cis hétéro n’harcèlent pas les femmes dans la rue, cela ne signifie pas qu’ils n’ont pas intégré une vision sexualisée de la femme et qu’ils ne perpétuent pas, même inconsciemment, le “male gaze“. Et ce n’est pas parce qu’un homme prend sa part dans la charge ménagère, qu’il en fait de même pour la charge émotionnelle. Même si nous cherchons à nous améliorer, nous avons toustes des angles morts et des mécanismes d’oppressions que nous continuons à perpétuer.

Et comme dirait la chanteuse et humoriste GiedRé dans sa chanson “Violer OKLM” : “not all men mais a lot quand même” (que l’on peut traduire par “pas tous les hommes, mais beaucoup quand même“).

Bien entendu, ce même raisonnement peut se décliner pour toutes les autres formes d’oppressions.

Mécréantes – Pas tous les hommes
(Et autres cries d’orfraie sur la généralisation)
La Nuit Remue Paris
Not all men, really?

Tracer la ligne

Dans un discours sur les “Good Men”, Hannah Gadsby développe le concept de la ligne, ici appliqué au sexisme mais qui vaut aussi pour toutes les formes d’oppression systémique. Cette ligne que l’on trace lorsque l’on met d’un côté les bonnes personnes et de l’autre les mauvaises. Cette ligne qui nous met toujours du bon côté, vu que nous la faisons évoluer, nous la déplaçons plus loin, lorsqu’un de nos comportements aurait du nous la faire franchir. Car nous avons une tendance naturelle a nous voir comme une bonne personne, et en faire de même pour les gens qui nous sont proches ou les personnes que nous estimons.

Et devinez quoi ? Tous les hommes se croient bons. Nous devons en parler, car devinez ce cela donne quand seuls les hommes bons tracent cette ligne ? Cela donne ce monde. Un monde plein d’hommes bons qui font de très mauvaises choses et croient toujours au plus profond de leur cœur qu’ils sont bons parce qu’ils n’ont pas franchi la ligne, parce qu’ils la déplacent à leur avantage.

Tu peux visionner le discours en ligne, ainsi que lire cette bande-dessinée faite par Emma pour expliquer ce concept.

Hannah Gadsby – The Good Men (en anglais)
Emma – La Ligne

Cadeau bonus

Et pour finir, on te laisse avec le tube de l’été :

Club ouin-ouin par Camion bip bip